Appel lancé par le Collectif Hybrides le 29 mai 2020
L’avantage de parler en son nom depuis les lieux intermédiaires et indépendants, c’est que l’on peut s’exprimer avec rugosité et mettre les pieds dans le plat sans craindre que ça éclabousse. Nous sommes des gens de trottoir plus que de salon, nous agissons depuis des espaces dont certains sont nés de la clandestinité, nous sommes de ceux qui aimons inviter cinquante personnes dans un jardin pour faire la rencontre d’un.e musicien.ne.
Les systèmes de domination à l’œuvre en France et partout dans le monde sont dangereusement prédateurs, pour les communs, pour les personnes, et ne génèrent qu’inégalités, concurrence, injustices, isolement et pauvreté.
Les alternatives et les initiatives qui font tenir la société en pleine crise ne sont pas nées de la dernière pluie ni du dernier pangolin.
L’obligation de repenser nos façons de faire est une embrassade en cours depuis longtemps, et d’une nature que les mises à distance physique ne suspendent pas.
Ainsi, on peut voir des paysan.ne.s lutter face aux agriculteur.rice.s productivistes, des coopératives s’opposer aux entreprises hiérarchisées, des communs résister aux systèmes marchands, des tentatives de construction de modèles durables, respectueux et innovants.
Le secteur culturel est, lui aussi, traversé de ces conflits, dont les enjeux sont porteurs de sens : démocratie culturelle, droits culturels, émancipation, rapport entre privé et public, entre grands et petits, entre institution et société civile, entre circuits-courts et grande distribution…
Malgré nos résistances à ces systèmes, et malgré nos volontés de prioriser le sens, nous, acteur.rice.s du monde de l’art et de la culture, ne sommes pas épargné.e.s par cette logique destructrice. Certain.e.s pourtant résistent contre la course à la productivité, l’extrémisme gestionnaire et technocratique, les évaluations quantitatives qui amènent à déconsidérer « les petits festivals de cinquante personnes ».
NOUS SOMMES DES LIEUX DE VIES
Nous, Hybrides, un collectif de structures culturelles, intermédiaires et indépendantes en Bretagne, agissons dans ce combat contre le modèle dominant.
Nous, artistes, acteurs et actrices culturel.le.s soutenons l’implication des artistes en leur aménageant le temps nécessaire pour que leurs travaux puissent agir durablement, pour placer l’acte artistique au cœur de la cité.
Nous nous engageons, au quotidien et à long terme, pour contribuer à créer les conditions d’une démocratie culturelle en actes et interagissons avec d’autres enjeux sociaux, environnementaux, économiques…
À partir de nos lieux, fondés sur l’idée de « faire avec » — avec des acteurs artistiques, culturels, sociaux, politiques, économiques, écologiques, avec un territoire et les personnes qui y habitent — nous accompagnons la création contemporaine et défendons la diversité artistique.
Nous revendiquons la valeur symbolique de nos gestes dans des petites formes, intimes, confinées, ces proximités, ces soins, cette écoute en direction de nos voisin.e.s, ancrés dans les enjeux concrets de nos territoires.
LA QUESTION EST HAUTEMENT CULTURELLE
Pas plus que l’école n’est la garderie de la société, la culture n’est « son doudou ». L’art n’est pas un accessoire de consolation mais un des outils, puissant et pluriel, de saisissement du monde, un des aliments vitaux de la systole et la diastole de nos êtres et de nos sociétés. De ces outils et de ces fluides vitaux qui font de nous des humains en vie. Pas en survie, pas en sous vie, mais pleinement vivant.e.s, et autonomes par cette entièreté.
La culture est un droit. La raison artistique a sa singulière nécessité. Elle crée des formes où se travaillent nos sensibilités, où se réfléchissent nos histoires, où se questionnent nos contradictions, où se pensent nos expériences collectives. C’est là sa fonction, qui n’est ni strictement utilitaire ni pur divertissement. C’est de cultures multiples, proches des gens, dont nous parlons. Agencer l’horizontal avec le vertical, au quotidien, luttant contre le mépris de classe et le narcissisme ambiant.
REPENSER L’ESSENTIEL
Depuis le début de cette crise, des associations de tout bord, des groupes de citoyen.ne.s, des alternatifs, activent le corps social pour construire des ponts de solidarité. Est-ce que ces anonymes s’activent plus que d’habitude ? Ou est-ce que l’inactivité du superflu révèle ce qui est essentiel pour fait vivre notre société ?
Le confinement nous a confirmé à quel point sont essentiels :
– le réel : toucher, caresser, sentir, regarder, goûter, qui ne peut être remplacé par le virtuel
– la rencontre réelle, y compris les rencontres de hasard, les gens qui passent, les repas improvisés, les cafés partagés
– le partage du sensible : un spectacle, une exposition n’existent pas sans une présence de corps, de sourires, de rumeurs, de paroles échangées avant et après, d’émotions partagées, de frissons, de confrontations…
– le collectif, penser ensemble, imaginer ensemble, rêver ensemble… ce qui construit du commun
IMAGINER AUTREMENT
Nos structures, déjà mises sous tension depuis de nombreuses années, subissent de plein fouet la crise actuelle.
Dans notre quotidien, nous travaillons avec des artistes qui sont, pour beaucoup, largement paupérisé.e.s et menacé.e.s de s’appauvrir encore. Nous construisons des liens avec des travailleuses et des travailleurs avec ou sans emploi, avec des retraité.e.s, des familles, des jeunes…
Nous sommes au contact des inégalités sociales et voulons prendre le temps de penser à des solidarités plus grandes et contribuer à une réflexion sur demain. Il nous est impossible d’imaginer un retour vers les mêmes équilibres qu’avant.
Il faut sortir de la politique de la précarité et de la survie.
Nous voulons certes des moyens pour faire ce que nous avons toujours fait mais nous réclamons surtout une large réflexion sur la rémunération des travailleuses et des travailleurs qui ne serait pas soumise à la subordination ou aux aléas du marché, qui serait surtout la juste rétribution d’un travail indispensable à l’émancipation.
NOUS SOMMES DÉTERMINÉ.E.S
Nous refusons de continuer à œuvrer dans un système de surenchère où les gros écrasent les petits, où l’on arrose toujours là où c’est déjà mouillé, où les dominants ne parlent qu’aux dominants.
Nous ne voulons plus que soient sacrifiés à l’urgence du moment des pans entiers des politiques publiques.
Nous ne voulons plus que les cultures soient réduites à l’offre culturelle.
Nous ne voulons plus travailler dans la mise en concurrence.
Nous voulons redéfinir les termes de l’expertise.
Nous ne voulons pas participer à l’impératif de la croissance.
Désormais « on se lève et on se barre! »
Nous avons l’habitude d’avancer sans certitude. Nous avons l’habitude de nous en sortir grâce à la force du collectif.
Nous ne voulons pas jouer les originaux et encore moins crier à l’exception ou attirer l’attention sur un sauvetage sans condition de notre secteur ou de notre corporation.
Nous sommes et serons solidaires des combats des invisibilisé.e.s, des méprisé.e.s, des oublié.e.s, des refusé.e.s… Nous sommes plus que jamais, et tant qu’il le faudra, mobilisé.e.s dans l’ensemble des mouvements sociaux pour partager et défendre notre vision d’un monde solidaire et ouvert.
C’est ce même boulot que nous allons poursuivre, qui n’est pas dicté par la menace virale mais par le constat sans cesse renouvelé de l’indigence et de l’ignominie d’un capitalisme vandale par essence. Ce virus-là n’est jamais rassasié.
Nous sommes debout, nous sommes responsables, renseigné.e.s, conscient.e.s, légitimes et bien entouré.e.s.
Nous invitons nos adhérent.e.s, nos publics, nos collègues, nos partenaires à se tenir à nos côtés et à prendre soin les uns des autres au sein des rencontres que nous saurons inventer.
Nous revendiquons le droit à prendre part aux réflexions collectives, à co-construire avec les populations et nos collectivités, des politiques publiques ambitieuses pour une transformation sociale indispensable.
Maintenant !
1er signataires :
Bouèb – coordinateur des Ateliers du Vent (Rennes)
Aurélie Besenval – Hybrides (Bretagne)
Brigitte Mouchel – et meutes / méandres (Huelgoat)
Charlotte Roy – coordinatrice Le LIEU (Plougasnou, 29)
Cynthia Guyot – coordinatrice et médiatrice culturelle de La Fourmi-e (Rostrenen )
Patricia Le Calvez – Coordinatrice de L’image qui Parle (Paimpol 22)
Sophie Hoarau – La Quincaille (Finistère)
Camille Simon – Le Logelloù (Côtes d’Armor)
Enora Henry – La Barge de Morlaix ( Finistère)
Marie Lebarbier – coordinatrice du Maquis (Finistère)
source : https://www.unepetition.fr/un-autre-monde-existe-deja